Une renaturation encore trop timide
Rencontre avec l’ancien secrétaire régional de WWF Vaud, Serge Ansermet, qui retrace les trente ans de combat pour la protection de la Venoge.
Selver Kabacalman
Interview- Figure de la section vaudoise du WWF entre les années 1989 et 2012, Serge Ansermet revient sur les enjeux passés et futurs autour de la Venoge, ce modeste cours d’eau de près de 40 km, qui sillonne le canton et s’écoule dans les eaux du Léman entre Préverenges et Saint-Sulpice.
Quels ont été les moments importants dans la préservation de la Venoge ces trente dernières années? Serge Ansermet: L’histoire a commencé avec une initiative populaire «Sauvez la Venoge!», lancée par le WWF et appuyés par les milieux de l’environnement, acceptée en juin 1990. La votation a permis d’avoir un Plan de protection de la rivière. Mais ce n’est qu’en 2003, que le Grand Conseil a pu accorder le premier crédit, d’environ 6 millions de francs pour la réalisation des premières mesures prioritaires dès 2004. Cette somme a très vite été rabotée de moitié et n’a pu servir qu’à une petite série de mesures, comme l’aide à la migration des poissons. Un deuxième crédit de 6 millions a été accordé en 2009 pour la réalisation de nouvelles mesures prioritaires.
Quel bilan en tirer? La première vraie opération de renaturation d’une certaine ampleur n’a été réalisée que l’an dernier: le creusement d’un nouveau lit sur quelques centaines de mètres, près de Penthaz, pour permettre le débordement de la Venoge, tout en sécurisant les voies CFF à proximité. Par ailleurs, des travaux de renaturation de la zone alluviale du Bois-de-Vaux devraient commencer cette année.
L’application de mesures concrètes de renaturation prend beaucoup de temps, alors que c’est le point central des mesures de protections. Il a fallu plusieurs années après la votation sur l’initiative pour que le plan d’affectation cantonal – en fait un plan de protection – puisse enfin entrer en vigueur. Les oppositions et recours, essentiellement des milieux agricoles et des communes, ont retardé le processus.
Un résultat décevant? Ce sont des résultats positifs, mais il a fallu attendre longtemps. Le Canton a tout de même mis en place des mesures liées à l’aménagement du territoire. Il a revu les zones constructibles de nombreuses communes proches de la Venoge. Parallèlement à cela, le Canton s’est occupé de l’assainissement de nombreux rejets d’eaux usées sauvages qui aboutissaient dans la Venoge. Cela a pris du temps. Une grande partie des rejets polluants ont été traités, mais il en reste encore une dizaine.
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « renaturation »? Laisser plus de place au cours d’eau en remplaçant les enrochements par des rives naturelles et en permettant à la rivière de divaguer librement dans son lit.
Faut-il désormais tout miser sur de telles renaturations? Evidemment, c’est l’essence même des interventions sur la Venoge ! Nous demandons que le Canton applique désormais des mesures de renaturation pures, c’est-à-dire non nécessairement liées à des impératifs sécuritaires.
Le Canton va proposer un troisième paquet de mesures au Grand Conseil prochainement au parlement pour financer des mesures du Plan de protection de la Venoge, pour un montant de 5, 4 millions. Il s’agira de revitaliser le tronçon de Lussery-Villars et Eclépens, ainsi que de créer un delta à l’embouchure de la Venoge. Ceci implique l’aménagement d’un port à proximité afin d’accueillir les bateaux amarrés actuellement à l’embouchure de la rivière. Les projets de renaturation se heurtent souvent aux oppositions des agriculteurs. Ils forment un lobby puissant et sont souvent appuyés par les communes. Ils ont du mal à laisser leur terrain à une plus large emprise des cours d’eau. Pourtant la législation vaudoise permet l’expropriation; le canton y recourt peu dans ces cas. Mais il s’est efforcé d’acquérir des terrains agricoles dans la région pour pouvoir les proposer aux agriculteurs contre le sacrifice d’un bout de leur terrain. Enfin, le dernier objectif de ce crédit vise à continuer l’assainissement des eaux.
En près de 30 ans de combat, quelques regrets ? Je regrette la création de la zone industrielle de La Plaine qui se situe sur les communes de Vufflens-la-Ville et d’Aclens, aux dépens de milieux naturels de grande valeur; le WWF, actif à l’époque contre cette zone industrielle, luttait pour une protection au moins partielle de ce vaste biotope. Des mesures de compensation ont été mises en œuvre et permis de créer des étangs et transplanter des espèces rares, mais cela ne remplace pas la zone steppique et l’étang du Bochet de l’époque. Je regrette aussi que l’application de mesures concrètes de renaturation ait pris autant de temps à être mise en oeuvre. Il faut dire qu’à l’époque du conseiller d’Etat Marcel Blanc, la volonté politique était faible et la sensibilité écologique, moindre. La situation dans le domaine de la revitalisation des cours d’eau a évolué positivement. Les autorités cantonales et l’administration ont été sensibilisées à cette problématique. Nous avons beaucoup avancé par un travail de lobbying et de persuasion; en outre, le droit de recours dont bénéficient les associations de protection de la nature – WWF, l’Association Venoge Vivante, Pro Natura et la Société vaudoise des pécheurs en rivière – nous a aidés.
8.18